Texte en introduction de mon livre Questions de vie (Seuil , 2017)

 

« Suis-je prisonnier d’un destin ? », « Comment rentrer dans la vie d’adulte ? », « Qu’est-ce qu’un bon père ou une bonne mère ? », « Pourquoi mon couple me fait-il autant souffrir ? ».

 La polyphonie des quêtes singulières donne l’occasion d’entrer en écho avec les expériences des uns et des autres, et de cheminer par soi-même. Même ce qui ne nous concerne pas directement résonne et nous fait réfléchir. Ce sont les détresses de l’humanité, et l’humanité, c’est nous…

Nos souffrances ne sont pas seulement solitaires, elles ont une dimension universelle.  Les épreuves que nous traversons, personne ne peut les expérimenter à note place, mais d’autres pourraient les vivre. Cela rapproche. On peut parler, avec Jan Patocka, philosophe tchèque, de la « solidarité des ébranlés ». On peut en effet expérimenter et penser, dans les failles de nos existences, une solidarité avec des personnes ayant traversé des ébranlements similaires : « je ne connais pas cette situation particulière, mais je n’en suis pas passé loin… »

Bien sûr, toutes nos souffrances sont singulières, mais elles ouvrent et s’élargissent sur l’universel, sur quelque chose de commun, et rend possible des moments ponctuels de partage psychique, et de créativité, avec des inconnus. Les situations les plus inextricables sont en effet souvent le lieu d’une créativité que nous ne soupçonnons pas.

 Un de mes analysants me parlait, dans le temps, de ce qu’il appelait « l’homme du plancher ». « L’homme du plancher » est celui qui n’ose pas se montrer, et qui vit en dessous du monde, en raison de l’impossibilité de communiquer, et de faire comprendre ce qui a été vécu. L’homme du plancher a du mal à sortir de sa cachette. La lumière lui fait peur. Et pourtant, il cherche à entrer en solidarité avec le reste du monde. Ce livre est dédié à ceux qui habitent le « plancher », plus nombreux qu’on ne le croit. Le monde aussi leur appartient. Quoi qu’ils en pensent.

« Travailler » sa propre liberté n’est pas aisé ; l’espace  [des réponses possibles] se propose comme une « autre scène » qui pourrait ouvrir autre chose. Les trajectoires très personnelles que nous allons lire ne donnent pas à voir, mais à penser. Il ne s’agit d’ailleurs pas pour moi de donner des conseils – ce dont je suis bien incapable – mais d’effectuer un travail de co-réflexion, de co-pensée.

  « Tu finiras tel que tu es », affirme Samuel Beckett dans l’un de ses livres [2]. J’ose affirmer que non. Cela prend du temps, mais nous pouvons nous laisser transformer par la vie, par l’évènement et par la liberté.

Puisse ce livre être un « petit phare de lumière dans les tourments de la vie », comme me l’a si délicatement écrit une de mes correspondantes. C’est mon seul désir.

[1] Jan Patocka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, traduit du tchèque par Erika Abrams, Paris, Verdier.

[2] Samuel Beckett, Compagnie, Paris, Ed. de Minuit, 1980, p.12.

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